
Ce rapport a été réalisé et coordonné sous la direction de NORMA, représenté par Alexandre Clabault. Il a été élaboré en partenariat avec la Clinique Juridique Lawfare de la Sorbonne en juillet 2025.
Ci-dessous, son résumé exécutif.
Un manque à gagner de l’industrie de défense ukrainienne
Depuis le 24 février 2022, l’Ukraine est sous un régime de loi martiale en raison du conflit l’opposant à la Russie. Dans ce contexte, l’industrie de défense est devenue l’un des maillons indispensables à la survie de l’État ukrainien. Si les importations de matériel militaire de l’étranger sont toujours possibles, et cruciales pour l’Ukraine dans ce conflit, les exportations sont de facto interdites, les licences n’étant plus délivrées, afin de réserver la production à l’effort de guerre. Cependant, l’État étant devenu le seul client de ces industries, elles font face à un manque à gagner considérable : Kiev représente un contrat global de 6 milliards de dollars en 2025, pour un potentiel industriel estimé à 20 milliards.
C’est pourquoi l’Ukraine a adopté une stratégie d’exportation à l’horizon 2030. Dans ce cadre, le groupe parlementaire présidentiel a déposé au Parlement ukrainien (la Verkhovna Rada) quatre projets de loi le 25 juin dernier, modifiant principalement le code fiscal, le code des douanes, le code budgétaire, mais aussi le code pénal et de procédure pénale, ou encore la loi sur le contrôle par l’État des transferts internationaux de biens militaires et à double usage.
Concrètement, ces textes prévoient la création d’un statut juridique spécial de résident de la « Cité de la défense », que le ministère de la Défense pourrait attribuer aux entreprises sur demande de leur part, et selon certains critères. Ces dernières pourraient alors à nouveau exporter, et bénéficieraient de nombreux avantages fiscaux, douaniers, budgétaires, pénaux…
L’objectif est simple : lever tous les obstacles administratifs au développement de l’industrie de la défense, afin que cette dernière devienne le moteur du développement économique du pays.
Des projets protecteurs des industries de défense
Ces quatre projets de loi, actuellement en examen au Parlement ukrainien, proposent d’ouvrir à nouveau la possibilité d’exporter du matériel militaire, mais surtout d’accorder de nombreux avantages aux entreprises qui bénéficieraient du statut juridique spécial. Ces apports représentent un atout considérable pour les entreprises ukrainiennes vis-à-vis de leurs concurrents, du fait de la suppression de certaines contraintes tant administratives qu’économiques.
L’apport principal serait le rétablissement de la possibilité d’exporter pour ces entreprises, du matériel militaire et à double usage comme de la technologie militaire aux fins de fabrication de matériel hors d’Ukraine, bien que cette dernière soit soumise à l’existence d’un accord international avec le pays d’importation. Le Danemark s’est d’ailleurs positionné comme premier importateur de technologie militaire ukrainienne, en signant, le 4 juillet 2025, un accord de coopération avec Kiev visant à ouvrir des installations de coproduction sur son territoire. Par cet accord, le Danemark prend une longueur d’avance en matière d’accès aux innovations ukrainiennes vis-à-vis de ses concurrents européens.
Sont également prévues de nombreuses exonérations d’impôts, sur les sociétés (sous certaines conditions), foncier, mais aussi immobilier hors terrains, ou encore environnemental.
Concernant les avantages douaniers, des simplifications essentiellement administratives sont prévues. En effet, si le droit ukrainien a introduit les exigences européennes par une loi du 22 août 2024, relatives au placement des marchandises sous certains régimes douaniers, le projet de loi souhaite que ce placement s’effectue selon des modalités simplifiées (régime de l’autorisation sur la base de la déclaration et non de la demande, allongement de la durée d’autorisation, dispense de fournir certaines informations, etc.).
De même, ces projets soutiennent la relocalisation des entreprises du front vers des zones plus sûres du pays, en aidant financièrement les collectivités territoriales choisies pour les accueillir (reversement d’une partie de l’impôt sur le revenu au budget de ces dernières).
Enfin, la partie la plus critiquée du projet prévoit d’accorder aux entreprises une liberté accrue dans l’exécution des contrats d’État relatifs aux marchés publics de défense, en proposant d’accorder une excuse pénale à leurs dirigeants dans certains cas. Cette mesure est grandement contestée par les médias et par le centre de lutte contre la corruption pour sa non conformité aux législations ukrainiennes. Est aussi contestée l’interdiction prévue d’engager des procédures pénales contre une personne moralebénéficiant du statut spécial, puisque cette interdiction s’appliquerait même si l’acte à l’origine de ces mesures a été commis avant l’inscription de l’entreprise sur la liste des bénéficiaires. Les pouvoirs du Procureur général sont également renforcés afin de contrebalancer ces avantages, même si dans les faits, le projet de loi soumet désormais certaines procédures à l’autorisation du Procureur, telles que les enquêtes du Bureau national de lutte contre la corruption.
Ainsi, on constate la volonté affichée du groupe parlementaire présidentiel d’accorder aux entreprises de la défense des avantages de toutes natures, afin de limiter les freins à leur efficacité et leur développement, et maximiser leur apport à l’effort de guerre. Si, en temps de conflit, ces apports sont justifiables, d’un point de vue concurrentiel, ils menacent les industries européennes, et notamment françaises.
Points de vigilance
● Le Danemark s’est imposé comme premier partenaire des exportations ukrainiennes par un accord international signé le 4 juillet 2025, afin d’ouvrir des installations de production sur son territoire, et ainsi co-produire du matériel militaire et avoir accès aux technologies militaires ukrainiennes ;
● L’ouverture du marché de l’armement ukrainien aux exportations représente un risque économique et concurrentiel fort pour la France du fait du développement, par l’Ukraine, de technologies et de matériel militaires adaptés aux besoins actuels des conflits (pour exemple : les drones, le canon Bohdana) ;
● Ce risque économique et concurrentiel est exacerbé par les avantages douaniers et fiscaux accordés aux entreprises, pouvant alors exporter plus facilement du fait de la suppression de certains freins administratifs que les entreprises françaises conservent.
Recommandations principales
● Se positionner rapidement comme partenaire et client privilégié de l’industrie ukrainienne, afin de ne pas prendre de retard sur nos partenaires européens, et de ne pas passer à côté de nouvelles innovations (technologiques, façon de faire…) ;
● Développer des projets de co-production avec l’industrie ukrainienne, sur le modèle danois, afin de fortifier la BITD française ;
● Trouver des solutions pour réduire la distorsion de concurrence créée par les avantages offerts aux entreprises ukrainiennes.
Auteur
Vadim Charpenet : Étudiant en Master de droit international, mention sécurité internationale, cybersécurité et défense – Université Grenoble Alpes